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Que peut l’école contre les discriminations ? Un groupe de réflexion sur la discrimination dans un Réseau de Réussite Scolaire

mercredi 26 septembre 2012, par Stéphane Kus

Cet article est paru dans le n°499 de la revue "Les Cahiers Pédagogiques"

Ce texte est à la fois le fruit d’une réflexion collective dans un Réseau de Réussite Scolaire et de mon cheminement personnel en tant qu’enseignant (10 ans en Education Prioritaire) puis en tant que coordonnateur de 2 RRS sur la même commune de l’Est Lyonnais durant 5 ans.

Si la question de la discrimination à l’école est bien plus large que la question des ZEP, ce n’est pas non plus un hasard que c’est souvent en ZEP qu’elle s’ouvre, quitte à déborder de ce cadre. Quand j’ai atterri un peu par hasard dans mon école il y a 15 ans, j’ai toute de suite été frappé par une réalité : plus des ¾ des élèves étaient « issus de l’immigration ». Certains parents d’élèves venant inscrire leur enfant posent demandent au directeur : « Ils sont où les Français ? ». 500 mètres plus loin, dans une autre école où la proportion est inverse. Comme dans beaucoup d’autres écoles en ZEP, avec les collègues, nous nous sommes retroussés les manches pour « faire avec » cette réalité, promouvoir la diversité des cultures, la tolérance, lutter contre les difficultés scolaires de beaucoup d’élèves, les problèmes de comportement, tout en nous disant que quand même un certain nombre de famille ne faisaient pas leur boulot !

Les choses ont commencé à basculer pour moi lorsque j’ai pris la fonction de coordonnateur des RRS. En préparant le diagnostic de notre Contrat de Réussite en 2008 avec le principal adjoint du collège, nous sommes arrivés à un constat accablant : si les résultats des élèves au brevet sont relativement bons pour un collège ZEP (autour de 80%), le suivi sur 4 ans d’une cohorte au collège en fonction de l’école d’origine faisait apparaître des résultats troublants : au bout de 4 ans au collège, presque tous les élèves issus des écoles hors-ZEP du secteur réussissaient leur brevet, mais seul 1/3 des élèves issus de mon école y parvenait… J’étais sidéré : la majorité des élèves pour lesquels nous nous étions donné tant de mal étaient en échec au collège. Comment était-ce possible ? Fallait-il continuer à investir toute notre énergie dans des actions de compensation de supposés manques du côté des élèves et de leur famille, pour de si piètres résultats ? Fallait-il remettre en cause nos pratiques, mais lesquelles ?

A ce moment là, nous est parvenue une proposition de l’ACSé de financer une formation pour les enseignants des RRS sur la question des discriminations. Cette proposition venait en réponse au questionnement des écoles à propos des familles d’origine turque, dont les enfants étaient en échec. La demande de départ était de « mieux connaître » ces familles ». La réponse de l’ACSé fut : « Pourquoi ne pas réfléchir d’abord à vos préjugés concernant ces familles, et à ce qui dans votre fonctionnement est un frein au dialogue avec elles ? »… Autant dire que les comités exécutifs des 2 RRS ont été au départ sceptiques sur cette proposition ! Mais comme nous avions décidé d’axer nos stages de formation de réseau sur la différenciation pédagogique, il nous a semblé que les ouvrir par une journée de sensibilisation à la question des discriminations serait un bon garde-fou.

Cette journée de sensibilisation, animée par Fabrice Dhume [1] a eu un impact important surtout le travail des années qui ont suivi. Elle nous a permis de clarifier les enjeux idéologiques qui traversent nos pratiques professionnelles, de recentrer nos besoins de formation et de leur donner une cohérence en nous fixant de vraies priorités. Réfléchir à la question des discriminations à l’école, c’est chercher ce qui dans notre pratique produit de l’inégalité de traitement entre les élèves, et du coup c’est expérimenter de nouvelles pratiques qui visent explicitement à ne pas exclure certaines catégories d’élèves. C’est remettre au cœur des objectifs de réflexion et de formation du réseau les pratiques ordinaires de l’école, et non plus seulement la « connaissance des publics », les actions de remédiation ou d’ « acculturation » des élèves. C’est réfléchir non plus à ce qui manquerait à nos élèves ou à leurs familles, mais à ce qui rendrait l’Ecole accessible – sans en restreindre les ambitions en termes d’acquisition de savoirs et de compétences.

Le mot « discrimination » peut faire peur, mais il nous oblige à regarder l’école en fonction du droit des enfants à y apprendre. Il est le pendant de la valeur fondamentale de l’école républicaine : produire de l’égalité. En remettant l’égalité des droits au centre, on réalise du coup que d’autres logiques idéologiques se sont immiscées dans notre regard et nos pratiques : la logique de l’ « intégration » qui fait porter sur les plus fragiles la responsabilité de leur situation, la logique de l’ « anti-racisme » ou de l’ « anti-sexisme » qui contribue, par une condamnation « morale » des idées racistes ou sexistes, à rendre tabou et invisible la manière dont nos actes professionnels quotidiens sont orientés par des préjugés ethno-raciaux et sexués qui nous traversent tous, la logique de la « promotion de la diversité » qui veut donner un coup de pouce à quelques-uns issus des « minorités visibles » en n’interrogeant pas les mécanismes de domination sociale qui relèguent ces personnes en bas de l’échelle sociale.

C’est avec ce regard que nous avons tenté de faire vivre un groupe de réflexion des professionnels du RRS (enseignants des écoles et collège, conseillers pédagogiques, IEN, principale, surveillants, assistante sociale, CPE…) en lien avec le plan territorial de lutte contre les discriminations animés par l’équipe du CUCS. Nous y avons cherché tout ce qui, dans nos pratiques et nos fonctionnements institutionnels, pouvait défavoriser certains élèves et produire de l’inégalité scolaire.

Ce travail collectif nous a permis de mettre à jour deux types de processus qui engendrent de la discrimination (ils s’alimentent l’un l’autre).

Le premier qu’on pourrait appeler, avec J.-Y Rochex [2], de la différenciation active, est lié, à l’école, à toutes les situations où des professionnels différencient leur enseignement (souvent de manière inconsciente), établissent un jugement ou une évaluation sur un enfant, sanctionnent des comportements, organisent des groupes, décident des passages ou des redoublements, de son orientation, mais aussi toutes les situations où ces professionnels sont en interaction avec les parents : nous y risquons d’y agir en fonction de préjugés liés au sexe ou à l’origine des élèves, et ce risque est évidemment accru quand nous n’avons pas pris conscience que nous sommes traversés par les préjugés que véhicule l’ensemble de la société concernant les filles et les garçons, les « blancs » et les « noirs », les « arabes » et les « français », etc...

Le deuxième type de processus concerne tout ce qui est d’ordre systémique dans le fonctionnement de l’école et qui la rend foncièrement inégalitaire. En voici quelques éléments :
- Une ségrégation spatiale de l’habitat qui se traduit par une ségrégation spatiale scolaire ;
- Une mise en concurrence entre les établissements qui les pousse à créer une ségrégation dans la constitution des classes : pour attirer les « bons élèves » (blancs et issus des classes moyennes et favorisés), on crée des filières « d’excellence » (classes européennes, bi-langues, à projet artistique et culturel, etc...) ;
- Un mode de recrutement et d’affectation des enseignants dont le critère principal est l’ancienneté : les établissements situés dans les zones en difficulté se retrouvent avec des personnels majoritairement jeunes, avec une moindre expérience professionnelle, ce qui entraîne aussi d’autres effets pervers (taux de rotation important des personnels, peu de continuité dans l’élaboration et la mise en oeuvre d’un projet pédagogique construit, perte de confiance des familles dans l’école, ...) ;
- Une externalisation du travail personnel par le biais des devoirs à la maison qui favorise les élèves des familles les plus à même de les accompagner et/ou de financer un accompagnement par un tiers ;
- Les lacunes de la formation initiale, principalement centrée notamment pour le second degré sur les savoirs disciplinaires universitaires et très peu sur la didactique et la pédagogie : cela favorise la reproduction d’un enseignement frontal, qui ne se préoccupe pas des problématiques d’apprentissage par les élèves et qui donc favorise les élèves dont la culture familiale est en connivence avec la culture scolaire ;
- Une pédagogie « invisible » : au travers d’une tâche concrète demandée aux élèves, on vise à leur faire acquérir un savoir par nature abstrait ; or il est extrêmement rare que cette particularité de la tâche scolaire soit explicitement travaillée avec les élèves pour développer leur réflexivité ;
- Un système d’évaluation qui sanctionne l’échec et renvoie à l’élève la responsabilité de cet échec : cela amène chez les élèves une mécompréhension de ce que nécessite l’apprentissage (se tromper, comprendre son erreur, faire une nouvelle tentative) ;
- Un mécanisme d’orientation qui fait de l’école un vaste système de tri.

Transformer les pratiques discriminantes de l’école : une vraie priorité pour l’Education Prioritaire !

Au-delà des injonctions actuelles à l’innovation qui ne semblent fixer aucun cap, il me semble qu’interroger les pratiques au regard de l’égalité de traitement, permettrait à chacun de nous, professionnels de l’école, de redonner du sens à notre travail, en nous redonnant des priorités pour le travail collectif de nos réseaux. En mettant nos moyens de formation au service de la transformation réfléchie de nos pratiques ordinaires, nous pouvons retrouver le chemin d’une école faite pour tous.

Notes

[1Co-auteur du livre : Orientation scolaire et discrimination. De l’(in)égalité de traitement selon l’origine, La Documentation Française 2011.

[2La construction des inégalités scolaires, Au cœur des pratiques et des dispositifs d’enseignement, PUR 2011, Jean-Yves Rochex et Jacques Crinon dir.

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