Une violence qui n’augmente pas sensiblement
Les violences à l’école ne sont pas un phénomène nouveau mais chaque épisode de violence est largement médiatisé et sans commune mesure avec les réalités vécues au quotidien dans les établissements. A Saint-Priest, par exemple, il n’a pas été relevé d’augmentation des actes de violences graves à l’intérieur des établissements scolaires au cours de ces dernières années, les élèves auraient même tendance à être plutôt amorphes. La grande masse des élèves ne fait pas de bruit, mais se désintéresse de l’école, s’en éloigne ; phénomène qui est tout aussi inquiétant que celui des actes de violences et révélateur de difficultés dont l’école est en partie responsable.
La ville de St Priest compte trois collèges dont deux font partie du réseau de réussite scolaire (RRS) et comptabilisent respectivement 950 et 650 élèves. Les RRS comme les RAR (réseau ambition réussite) constituent désormais les bases de la politique d’éducation prioritaire relancée en 2006 qui a conduit à la disparition de la notion de zone au profit de celle de réseau.
Une violence institutionnelle
La violence « ordinaire » de l’école n’est pas liée à l’extérieur (quartier, famille, chômage…), mais c’est la violence de l’institution qui met en souffrance élèves et enseignants.
Du côté des élèves, on observe tout d’abord une dichotomie entre le fonctionnement sélectif, la compétition du savoir, et l’ambition de réussite pour tous. Au niveau pédagogique, le système scolaire met en difficulté certains élèves et s’avère discriminant car il fait sur-réussir les uns et sous-réussir les autres. Or les élèves en sont conscients et vivent très mal cette situation. Il convient d’ajouter à cela les inégalités territoriales, la ségrégation à l’intérieur des établissements avec la constitution de filières (exemple des classes bilangues [1] ), les inégalités entre les classes (avec certaines qui comptent un fort taux d’échec scolaire), la compétition entre élèves via le système de notes qui renvoie de fait la difficulté sur l’élève. Tous ces éléments mis bout à bout entrainent un sentiment d’injustice de la part des élèves et potentiellement de la violence. La violence « ordinaire » de l’école est par conséquent celle d’une tension permanente au sein des classes, entre élèves, entre élèves et profs, sous forme d’invectives, d’insultes.
Du côté des enseignants, le système de recrutement, de formation et d’affectation dans les collèges, notamment ceux en éducation prioritaire, est en lui-même porteur de violence car ce sont les enseignants les plus jeunes, les moins expérimentés [2], qui sont nommés dans les collèges de l’éducation prioritaire. Or, ils ne sont pas « armés » pour faire face à des situations difficiles, s’épuisent vite, sont en souffrance et demandent dès qu’ils le peuvent leur mutation dans un autre établissement, réputé plus tranquille, avec pour conséquence un turn over important dans ces établissements (30 à 40% par an dans l’un des collèges de Saint-Priest). Quand on sait que le manque de stabilité de l’équipe enseignante est générateur de difficultés, et possiblement de tensions, on peut s’interroger sur la poursuite d’un tel système de recrutement et de formation.
Cette peinture quelque peu sinistre de la violence ordinaire mérite d’être pondérée par le fait qu’il n’y a pas de fatalité du « collège en ZEP » : il existe des collèges dits « difficiles » qui fonctionnent bien et font réussir les élèves, avec des équipes solides, des personnes impliquées et un cadre cohérent, même si l’édifice reste toujours fragile et dépend souvent du militantisme de certains enseignants. Mais l’ensemble des conditions d’une telle réussite d’un collège de l’Education Prioritaire n’a que peu de probabilité d’être réunies au sein de l’Education Nationale.
Quelles réponses apportées par l’Education nationale ?
Face à des situations de violence et pour prévenir la délinquance, la première des réponses est celle de la présence des adultes au sein des établissements, qui fournissent un cadre sécurisant, sont en capacité d’appliquer des sanctions cohérentes et traitées de manière éducative ; l’exclusion temporaire étant un recours ultime.
L’équipement des collèges en caméras de vidéosurveillance n’est pas choquant en soi et peut être utile dans certains cas, car les collèges sont des lieux compliqués à surveiller. Mais de tels équipements ne doivent pas être installés au détriment des moyens humains et leur efficacité doit être relativisée.
Ensuite, il existe au sein de l’Éducation nationale une palette d’outils, de dispositifs, qui ont chacun leur pertinence mais qui donnent parfois l’impression d’un mille feuille. Par exemple, le programme CLAIR [3] , issu des états généraux sur la sécurité à l’école d’avril 2010 [4], comporte des dispositions qui pourraient être intéressantes, mais fait l’impasse sur les écoles primaires.
Les dispositifs internes à l’éducation nationale pour prévenir l’échec scolaire sont de plus en plus nombreux, tels que les PPRE (programme personnalisé de réussite éducative) ou les médiateurs de réussite scolaire, mais ils sont, d’une part, souvent coupés des pratiques de classe, même s’ils sont pris en charge par des enseignants et, d’autre part, ils reposent sur des postes précaires ; ce qui en limite fortement leur efficacité dans la durée. Il serait intéressant de réfléchir aux conditions (et notamment à l’accompagnement formatif des enseignants) dans lesquelles ces dispositifs peuvent être efficaces plutôt que d’observer un empilement sans fin.
Quand l’école s’ouvre sur l’extérieur
Avec la mise en place des ZEP (zones d’éducation prioritaire) dans les années 1980, les notions de réseau et de partenariat local sont entrés dans le champ éducatif.
Ainsi, au niveau de la ville de Saint-Priest, une coordination des coordonnateurs (petite enfance, CEL, CUCS, PRE, RRS, CLSPD..) a été mise en place avec pour objectifs d’échanger pour mieux se connaître, d’établir des constats communs sur ce qui fait problème et de monter des projets partenariaux. Dans ce cadre, des groupes de réflexion ont été initiés autour des thèmes suivants : accompagnement à la scolarité, décrochage scolaire, lutte contre les discriminations et parentalité.
Concernant, par exemple, le décrochage scolaire, la réflexion a été animée par le coordonnateur CLSPD et a porté sur la création d’un lieu d’accueil pour les collégiens exclus temporairement. Le lieu, géré dans le cadre du Programme de réussite éducative, a ouvert ses portes en mars 2009 et accueille les collégiens exclus sur quatre demi-journées. L’accueil se fait avec l’accord de la famille, puis le référent de parcours du PRE rencontre le jeune qui bénéficie, en plus des travaux scolaires, de la découverte des structures de proximité, de la visite du CIO (centre d’information et d’orientation), etc. Bien que cette initiative soit intéressante à plus d’un titre, elle est loin de répondre à tous les besoins repérés par le groupe de travail et comporte quelques biais : capacité d’accueil insuffisante, absence des centres sociaux, faible réactivité par rapport au sentiment d’urgence ressenti par les principaux des collèges.
Ces initiatives et ces projets, possibles par un travail en partenariat au niveau local, permettent petit à petit à l’école de s’ouvrir sur l’extérieur, de décentrer le regard et de sortir d’une logique de culpabilisation qui ronge encore trop souvent le système scolaire - même s’ils gagneraient à être encore mieux articulés au sein d’un vrai projet éducatif partagé au niveau local.